La direction de la vérification interne et de l’évaluation des programmes
Vérification des contrôles ciblés : produits chimiques précurseurs
Septembre 2019

Note : [expurgée] indique que des renseignements de nature délicate ont été supprimés en vertu de la Loi sur l’accès à l’information et de la Loi sur la protection des renseignements personnels.

Table des matières

1.0 Introduction

1. L’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC) est tenue par la Loi sur l’ASFC de fournir des services frontaliers intégrés à l’appui des priorités de sécurité nationale et de sécurité publique, tout en facilitant la libre circulation d’individus et de marchandises conformes à la législation frontalière. L’ASFC protège la sécurité et la prospérité du Canada en contrôlant la circulation transfrontalière des personnes et des marchandises à destination ou en provenance du Canada, ce qui inclut l’interception de stupéfiants et de leurs précurseurs. Puisque la drogue et les substances contrôlées ont un profil « à risque élevé », leur interception par l’ASFC constitue une priorité d’exécution de la loi.

2. Les produits chimiques précurseurs (ou simplement « précurseurs ») sont des substances hautement toxiques essentielles à la production des substances contrôlées. Bien qu’ils aient de nombreux usages légaux, telle que la production de produits de consommation (médicaments, parfums, aromatisants, produits du pétrole, engrais, peinture, etc.), les précurseurs sont également utilisés dans la production de drogues de rue. Par exemple :

3. Les précurseurs entrent en la possession de l’ASFC quand ils sont saisis au titre de la Loi sur les douanes, ou confisqués pour non-respect de la Loi réglementant certaines drogues et autres substances (LRCDAS) ou du Règlement sur les précurseurs. Après 90 jours (le délai de conservation fixé par la loi), ils peuvent être détruits. L’ASFC intercepte des chargements de précurseurs surtout dans la filière commerciale, et souvent très larges dans le mode maritime. De tous les points d’entrée (PDE) au Canada, [expurgée] qui connaissent les volumes de saisies les plus élevés.

4. L’entreposage, la surveillance et l’élimination sécuritaires des précurseurs à l’ASFC relèvent aujourd’hui de trois directions générales. Jusqu’à tout récemment, les anciennes directions générales des Programmes et des Opérations étaient chargées respectivement de définir, et d’appliquer, les politiques opérationnelles visant à garantir la sécurité de l’entreposage, de la manipulation et de l’élimination des précurseurs. Toutefois, dans le contexte du Renouvellement de l’ASFC et de la mise en œuvre du modèle de gestion fonctionnelle, la nouvelle Direction générale du secteur commercial et des échanges commerciaux (DGSCEC) a absorbé ces deux fonctions pour le secteur commercial. De plus, la Direction générale de la politique stratégique a été créée pour assurer un leadership sur les questions stratégiques à l’Agence, notamment en dirigeant ou en appuyant l’élaboration de politiques dans des domaines tels que le commerce et les questions horizontales, en étroite collaboration avec les directions concernées. Enfin, la Direction générale des finances et de la gestion organisationnelle (DGFGO) est chargée de fournir des infrastructures adéquates et sécuritaires aux régions.

2.0 Importance de la présente vérification

5. Le contrôle et l’élimination des marchandises saisies, y compris les précurseurs chimiques, sont un problème de longue date pour l’ASFC. La Vérification du contrôle et de l’aliénation des marchandises saisies en vertu de la Loi sur les douanes (2009) a soulevé la question du manque de supervision centralisée pour le contrôle et l’élimination des marchandises saisies, et a également noté que les politiques et les procédures étaient incomplètes, et le contrôle des stocks inadéquat. Un suivi effectué en 2014 a révélé que les problèmes demeuraient, mais également recommandé que les précurseurs accumulés soient éliminés immédiatement, et que les agents de l’ASFC conçoivent une solution pour assurer une élimination régulière.

6. La présente vérification avait pour but de déterminer si les précurseurs chimiques détenus par l’Agence (retenus, saisis, etc.) étaient enregistrés, surveillés (stockés) et éliminés conformément à la Loi sur les douanes, aux normes de sécurité physique, et aux exigences en matière d’élimination.

7. Les critères et la portée de la vérification sont exposés à l’annexe A.

3.0 Énoncé de conformité

8. La présente vérification est conforme aux Procédures obligatoires régissant l’audit interne au sein du gouvernement du Canada, comme en témoignent les résultats du programme d’amélioration et d’assurance de la qualité. L’approche et la méthodologie de la vérification suivent les Normes internationales pour la pratique professionnelle de l’audit interne définies par l’Institut des vérificateurs internes, ainsi que les Procédures obligatoires régissant l’audit interne au sein du gouvernement du Canada, comme l’exige la Directive sur l’audit interne du Conseil du Trésor.

4.0 Opinion du vérificateur

9. Depuis quelques années, les régions de l’ASFC trouvent des solutions temporaires au problème de l’entreposage et de l’élimination des précurseurs accumulés. Cependant, les rôles et les responsabilités ont besoin d’être clarifiés au sein de l’Agence en ce qui concerne l’enregistrement, l’entreposage et la surveillance des précurseurs, ainsi qu’avec les autres ministères partenaires de l’ASFC quant à l’élimination des précurseurs et la prise en charge des coûts engagés. En outre, une solution à long terme doit absolument être établie pour la consignation complète et systématique des précurseurs dans les bases de données centralisées de l’Agence, et pour leur élimination rapide et régulière. Ces améliorations assureront au personnel un milieu de travail plus sécuritaire en faisant en sorte que l’ASFC respecte les règles en vigueur et qu’elle reste dans les limites de ses attributions concernant les précurseurs.

5.0 Principaux constats

10. À l’ASFC, la gestion des précurseurs saisis ne fait l’objet d’aucune surveillance centralisée. Les systèmes de données ne permettent aucun suivi de ces produits chimiques; chaque région doit coordonner elle-même ses contrats d’entreposage s’il lui faut du matériel spécialisé, comme un environnement à température contrôlée, ou des aires d’entreposage séparées à cause du risque de combustion. L’équipe de vérification a éprouvé des difficultés à brosser un portrait national des précurseurs détenus par l’Agence puisque les dossiers régionaux étaient largement sur support papier, certaines informations stockées dans des bases de données régionales locales, ou en d’autres endroits difficiles d’accès.

11. L’ASFC continue d’accumuler des précurseurs. Au moment de la rédaction de ce rapport, de grosses quantités étaient stockées [expurgée], et aucune solution n’existait pour en faciliter l’élimination régulière. D’autre part, les coûts d’élimination sont considérables. À date, ce sont les budgets régionaux qui absorbent ces coûts, malgré la confusion persistante quant à savoir quelle entité fédérale en est responsable. Santé Canada (SC) détient l’autorité législative pour éliminer les précurseurs et assumer les coûts encourus, mais il n’en va pas toujours de même puisque l’ASFC et la Gendarmerie royale du Canada (GRC) éliminent toutes deux des précurseurs chimiques. Ainsi, faute de responsabilités claires, c’est l’Agence qui assume les coûts d’entreposage et d’élimination.

Tableau 1 : Durée de la détention des précurseurs à l’ASFC / de l'entreposage de l'ASFC (en jours)

Région Le plus court Le plus long Moyenne
[expurgée] 138 >836 343
[expurgée] >395 >1681 898

12. Le tableau 1 indique le nombre de jours que les chargements de précurseurs ont passés en détention à l’ASFC, de leur interception à leur élimination, au moment de la rédaction du présent rapport. On notera que l’analyse s’est faite à partir de données récupérées dans le SIEDNote de bas de pages 1 ou obtenues des régions, pour la période allant de janvier 2017 à mai 2019. Ces données sont jugées incomplètes, ce qui sera expliqué davantage dans les prochaines pages.

13. De même, le tableau 2 résume les précurseurs inventoriés dans le cadre de la présente vérification, d’après les données obtenues des régions et du SIED.

Tableau 2 : Inventaire pour [expurgée], à jour en date du présent rapport

Région Précurseur Quantité
[expurgée] PhénacétineNote de bas de pages 2 [expurgée]
[expurgée] Acide hydrophosphoreux [expurgée]
[expurgée] P2P [expurgée]
[expurgée] PMK [expurgée]
[expurgée] Phénacétine [expurgée]
[expurgée] GBL [expurgée]

14. En janvier 2015, la région du Pacifique a procédé à une élimination massive de précurseurs à un coût de plus de 385 000 $. [expurgée].

15. Le principal risque associés aux précurseurs accumulés est la dégradation de leurs contenants de plastique, ce qui peut causer des fuites, des déversements et des résidus dangereux pour la santé et la sécurité du personnel. De plus, il y a un risque pour la sécurité publique à proximité des entrepôts de l’ASFC puisque ces produits chimiques sont très instables et à risque de combustion ou d’explosion.

16. Le processus pour enregistrer, entreposer, surveiller et éliminer les précurseurs n’est pas uniforme dans les différentes régions de l’ASFC, principalement en raison d’un manque d’instructions et d’attributions claires. Les guides préparés par l’ASFC, comme le Manuel d’exécution, n’ont pas suivi l’évolution des lois, renvoient à d’autres documents de référence qui n’existent plus, et désignent des postes que les employés de l’ASFC ne reconnaissent pas.

17. Des changements à la LRCDAS ont récemment été ratifiés en réponse à la crise des opioïdes. Par conséquent, l’ASFC est maintenant tenue par la loi de saisir une plus grande gamme de précurseurs, ce qui viendra vraisemblablement accroître le volume de saisies et aggraver les problèmes actuels.

6.0 Résumé des recommandations

18. La présente vérification fait quatre recommandations traitant des éléments suivants :

7.0 Réponse de la direction

Dans l’ensemble, le vice-président de la DGSCEC est d’accord avec les recommandations de la vérification quant à l’absence d’une politique nationale uniforme régissant les processus liés à l’entreposage, au suivi, et à la destruction des précurseurs chimiques saisis. Ceci représente un risque potentiel pour la santé et la sécurité du public et des employés de l’ASFC.

La DGFGO est d’accord avec les constatations et les recommandations découlant de la vérification des précurseurs chimiques. Des mesures ont déjà été prises pour donner suite aux observations et aux recommandations, ce qui permettra d’améliorer l’efficacité et l’efficience du programme de contrôle et d’élimination des marchandises saisies, dont les précurseurs chimiques.

8.0 Constats de la vérification

19. Ce rapport se divise en trois sections principales, selon le processus général de gestion des précurseurs à l’Agence : i) enregistrement de la substance au PDE; ii) entreposage et surveillance dans les locaux de l’ASFC; et iii) élimination.

8.1 Enregistrement

Politiques et instructions de l’ASFC

20. Il n’existe pas de dispositions législatives sur l’enregistrement des saisies de précurseurs chimiques par l’ASFC, mais il y a quelques instructions au niveau de l’Agence.

21. Le mémorandum D19-9-2, Importation et exportation de cannabis, de substances désignées et de précurseurs, stipule que l’Agence peut détenir une expédition afin de vérifier si une restriction ou prohibition spécifique s’applique, et confirmer que l’expédition respecte les exigences en matière de permis. Ceci peut comprendre la coordination avec Santé Canada afin de déterminer les permis requis, ou encore l’envoi de la substance au laboratoire de l’ASFC pour en déterminer la nature. [expurgée] et, selon la région ou le PDE concerné, pourra ou non être enregistrée dans une base de données créée localement. Il n’existe aucune base de données centralisée à cet effet, et aucun document de référence de l’ASFC ne donne d’instructions concernant l’enregistrement des substances en attente des résultats de laboratoire. S’il est confirmé que la substance est bel et bien désignée, l’agent des services frontaliers (ASF) est tenu d’effectuer la saisie et de l’enregistrer officiellement dans le SIED, tel que le décrit en gros la partie 2 du Manuel d’exécution.

22. Les individus interviewés dans les régions indiquent que le Manuel d’exécution est leur premier point de référence dans l’exercice de leurs fonctions. L’équipe de vérification a constaté que le Manuel mentionne un « agent du renseignement du programme relatif au détournement des précurseurs chimiques » chargé d’aviser la GRC et le Laboratoire de l’ASFC lorsque des produits chimiques soupçonnés d’être des précurseurs sont retenus. Or, aucune des personnes interviewées ne savait qui occupait ce poste, ni quelles étaient ses fonctions ou même si le poste existait vraiment. En outre, la section du Manuel sur les précurseurs est désuète, manque de clarté, et décrit des procédures qui ne correspondent pas aux pratiques réelles, malgré une mise à jour du Manuel en octobre 2018. Depuis, deux changements législatifs sont venus modifier la problématique des substances désignées du point de vue de l’ASFC : l’avènement de la Loi sur le cannabis, et des modifications à la LRCDAS. Les documents de référence et d’instructions n’ont pas été mis à jour en conséquence : par exemple, le Manuel énumère 29 précurseurs chimiques inscrits à l’annexe VI de la LRCDAS, alors qu’il y en a maintenant 38. De plus, l’ASFC peut demander à Santé Canada un classement d’urgence à l’annexe si elle croit qu’une substance qui n’y est pas va être utilisée comme précurseur. Ceci permettra d’effectuer une saisie. Par exemple, alors que le PMK n’est pas inscrit à l’annexe VI, un PDE peut demander un classement d’urgence afin de pouvoir en saisir une cargaison, puisque cette substance a très peu d’utilités légales. Il arrive aussi que la composition chimique d’une substance désignée soit modifiée légèrement pour en faire une substance non désignée.

23. Les procédures du Manuel d’exécution sur la drogue et les précurseurs chimiques ne sont pas précises concernant l’enregistrement des précurseurs dans le système de données de l’Agence. Par exemple, le Manuel demande que l’ASF enregistre la saisie dans le SIED, mais ne précise pas quelle catégorie de saisie doit être sélectionnée, et le menu déroulant du système ne contient pas de catégorie « précurseurs chimiques ». Les ASF peuvent donc sélectionner parmi une multitude de catégories différentes à leur gré. Ceci rend difficile toute tentative d’établir un inventaire ou de brosser un portrait national puisqu’il faut manuellement passer au crible des centaines de registres pour cerner les saisies de précurseurs. L’équipe de vérification n’a pas été en mesure de bâtir un registre complet de tous les précurseurs détenus ou éliminés par l’ASFC depuis janvier 2017. Ceci était dû, en partie, aux incohérences entre les régions dans l’enregistrement des précurseurs, à des différences d’un dossier de saisie à l’autre quant au niveau de détail, à la forte prévalence des dossiers papier et des registres régionaux, et aux dossiers papier qui n’étaient pas immédiatement consultables puisqu’archivés hors site par une tierce partie.

24. Pour saisir toute l’ampleur de la problématique des précurseurs, l’ASFC doit connaître l’inventaire actuel dans les régions, ce qui lui est présentement impossible. Dans un cas inhabituel, une cargaison de précurseurs était retenue depuis juin 2017, à l’insu de la gestion des opérations locales jusqu’en février 2019. Ceci suggère des pratiques de surveillance et d’enregistrement incohérentes, mais aussi un non-respect du Règlement sur les précurseurs, qui oblige à tenir un registre complet des précurseurs chimiques entreposés sur place.

25. L’absence d’un outil centralisé, de directives claires et de procédures formelles pour l’enregistrement des précurseurs chimiques a entrainé des lacunes au niveau de l’inventaire, des processus développés indépendamment par les régions, et une forte dépendance sur les dossiers papier. Ceci a pour conséquence l’impossibilité d’établir une liste complète des précurseurs chimiques entreposés par l’ASFC et peut entraver les efforts de l’Agence pour élaborer une solution d’entreposage, puisque l’ampleur et l’étendue du problème n’est pas connue.

26. Les recommandations découlant de ce constat figurent dans la section 9.0 du présent rapport.

8.2  Entreposage et surveillance

Législation

27. L’ASFC s’emploie à protéger la santé et la sécurité de ses employés en respectant l’intégralité des exigences légales, des normes approuvées, des directives et des politiques en la matière. Elle s’assure que les employés disposent de l’équipement, de la formation, des instructions et de la supervision nécessaires pour pouvoir exercer leurs fonctions en toute sécurité.

28. Les produits chimiques précurseurs sont considérés comme des substances hautement toxiques. Le Règlement canadien sur la santé et la sécurité au travail exige que toute substance dangereuse soit conservée dans un récipient qui protège les employés contre les risques qu’elle pose, et confinée dans une zone aussi petite que possible, pour réduire le danger au minimum. De plus, le Code canadien du travail oblige les employeurs à s’assurer que toutes les substances dangereuses soient dûment étiquetées, mais aussi que des fiches signalétiques soient disponibles sur place, et que les employés soient informés de leur disponibilité.

29. Le Règlement sur les précurseurs stipule que l’accès aux précurseurs de catégorie A doit être restreint, et que tous les accès doivent être enregistrés. Des registres (tels que des livres, répertoires, données électroniques, etc.) doivent également être conservés sur place, précisant le nom de chaque substance, la raison de sa présence sur place, sa quantité, et la date de l’activité (p. ex. renvoi ou retenue pour décision de saisie), etc.

Politiques et directives de l’ASFC

30. L’ASFC ne donne que peu d’instructions sur l’entreposage des précurseurs. La PNE sur le traitement des substances soupçonnées d'être hautement toxiques se concentre principalement sur la manipulation de ces substances. Les directives chargent le personnel de ranger les substances en attente de résultats de laboratoire dans le local sous douane, mais ne précisent pas ce qu’il en est de l’entreposage à long terme après confirmation qu’il s’agit de précurseurs, le cas échéant. Le livret de référence des ASF, quant à lui, ne fait aucune mention des précurseurs.

31. L’équipe de vérification n’a trouvé aucune fiche signalétique sur les précurseurs à l’Agence. Les individus interviewés dans le cadre de la vérification ont confirmé qu’il est difficile de trouver de l’information à l’interne sur l’entreposage sécuritaire de ces substances chimiques, et qu’il est donc parfois nécessaire de se tourner vers Internet.

32. Le chapitre 4, section 12 du Volume de gestion du matériel (archivé) comprenait une brève section sur les précurseurs, ordonnant au personnel d’entreposer ceux-ci dans un contenant sécurisé distinct, mais ne détaillait pas les exigences d’entreposage particulières des différents produits. Des employés de la Direction générale des finances et de la gestion organisationnelle (DGFGO) ont confirmé qu’ils travaillaient à remplacer les instructions, mais aucune échéance n’a pu être confirmée.

Infrastructures

33. En vertu de l’article 6 de la Loi sur les douanes, le propriétaire ou l’exploitant est tenu de fournir à l’ASFC des bâtiments, des logements et d’autres installations appropriés pour la retenue et la visite (vérification) de marchandises importées. Bien que l’Agence ait la responsabilité de veiller à ce que les marchandises contrôlées qui arrivent en sa possession soient entreposées de manière sécuritaire pendant toute la durée de leur détention par l’ASFC, elle n’a pas le pouvoir légal de modifier les installations et peut se trouver incapable de convaincre le propriétaire ou l’exploitant à se conformer.

34. Les espaces visités par l’équipe de vérification ne convenaient pas parfaitement à l’entreposage de précurseurs. L’aération était mauvaise dans un des locaux sous douane, de sorte que les vapeurs dangereuses dégagées par une cargaison de précurseurs saisie faisaient craindre pour la santé et la sécurité des employés à proximité. La cargaison a donc été déménagée [expurgée], une infraction directe au Règlement sur les précurseurs, malgré que cette solution ait néanmoins été jugée plus sécuritaire. Pour sa part, la région [expurgée] s’est procurée des conteneurs spécialisés pour entreposage [expurgée], afin de pallier l’infrastructure inadéquate.

35. Outre les risques pour la santé et sécurité posés par l’entreposage inadéquat des précurseurs chimiques, d’importants risques opérationnels et de sécurité ont également été relevés. Quand un PDE ne peut entreposer une cargaison de précurseurs en raison de sa taille ou de son profil chimique, l’Agence doit se tourner vers de tierces parties. Parfois, l’espace nécessaire est loué dans un entrepôt hors site, [expurgée]. Par exemple, l’entrepôt de l’ASFC dans [expurgée] ne pouvait accueillir une volumineuse cargaison de GBL reçue en mai 2018; les palettes ont donc [expurgée], sans frais à l’Agence. Cet arrangement a duré environ 11 mois, jusqu’à ce que le PDE parvienne à coordonner l’élimination. Ainsi, non seulement l’expédition avait été entreposée là où l’Agence ne pouvait la surveiller, mais en profitant de la générosité d’un tiers, l’Agence s’était placée en conflit d’intérêts : elle aurait pu hésiter par la suite à prendre des mesures correctives (p. ex. sanctions administratives pécuniaires) contre ce transporteur au besoin.

36. L’ASFC occupe des espaces appartenant à des tiers dans ses PDE d’un bout à l’autre du Canada : aéroports, centres d’examen des conteneurs, etc. Aucun organe national ne vérifie régulièrement si ces espaces répondent toujours aux besoins opérationnels de l’Agence; ce sont plutôt les régions qui doivent communiquer avec l’Administration centrale (AC) quand elles détectent des risques et jugent que ce n’est plus le cas. Il a également été constaté que, bien que l’Agence ait le droit de demander des changements d’infrastructure aux installations qu’elle occupe, en vertu de l’article 6 de la Loi sur les douanes elle n’a pas d’autorité pour dicter le délai dans lequel les modifications doivent être complétées, ne peut pas assumer les coûts encourus pour ces changements et ne peut pas dicter les modalités.

37. L’AC tient compte des besoins de sécurité des infrastructures quand elle élabore les guides de conception. Une fois les installations construites, ce sont les agents régionaux qui doivent communiquer avec l’AC s’ils ont besoin d’éléments de sécurité supplémentaires. Les répondants des régions ont indiqué que leurs besoins et préoccupations en matière d’infrastructures ont été communiqués à l’AC, tandis que les représentants de la Sécurité et des Infrastructures à l’AC affirment ne pas les avoir reçus. Cela suggère qu’il y a place à une meilleure communication entre les PDE, les régions et l’AC concernant les besoins et les risques en matière d’infrastructures.

38. Les recommandations découlant de ce constat figurent dans la section 9.0 du présent rapport.

8.3 Élimination

Législation

39. D’après la Loi sur les douanes, les substances peuvent être retirées et détruites une fois épuisé le délai de conservation de 90 jours, sauf si les circonstances (par exemple un appel) nécessitent une prolongation.

40. La LRCDAS stipule que les agents de la paix sont responsables de l’élimination des précurseurs. Or, les agents de l’ASFC ne sont pas des agents de la paix au sens de cette loi, et n’ont donc pas le pouvoir légal de procéder à l’élimination. Ceci est corroboré par plusieurs avis juridiques fournis à l’Agence, aussi récemment qu’en décembre 2018. Selon la LRCDAS, c’est à la GRC qu’incombe la responsabilité de procéder à l’élimination dans le cas d’enquêtes en matière de drogue, ou au ministre de la Santé d’autoriser l’élimination par de tierces parties. La LRCDAS permet au ministre de la Santé d’accorder des exceptions à la loi.

Accords collaboratifs avec d’autres ministères fédéraux

41. L’Agence a deux protocoles d’entente en place en ce qui a trait aux précurseurs chimiques.

42. Une annexe au protocole d’entente avec SC, en vigueur depuis mars 2014, stipule que les marchandises abandonnées à l’État doivent être éliminées par l’ASFC aux frais de SC, à moins que d’autres mesures soient mises en place.

43. L’ASFC a aussi un protocole d’entente avec la GRC, renouvelé en mars 2019, qui gouverne leurs relations réciproques. Une annexe de ce protocole d’entente définit les responsabilités concernant l’élimination des précurseurs; elle précise que la GRC n’a à éliminer que les précurseurs associés aux enquêtes en matière de drogue, et que l’ASFC ne peut éliminer de précurseurs que sur les instructions du ministre de la Santé, dans les circonstances qui ne débouchent pas sur une telle enquête.

44. La présente vérification a noté que dans certaines régions, la GRC recueille des précurseurs pour élimination même s’ils ne sont pas associés à une enquête. Dans la RGT toutefois, l’équipe d’opérations du fret aérien a des difficultés avec la GRC, qui refuse de prendre les précurseurs saisis sous prétexte que leur pureté est quelques dixièmes de points de pourcentage inférieure à ce qu’elle peut accepter.

45. Ces accords non juridiquement contraignants donnent à l’ASFC un rôle plus important que ne le prévoit la LRCDAS en ce qui concerne l’élimination des précurseurs, [expurgée]. De plus, l’équipe de vérification n’a trouvé aucune preuve que l’Agence reçoit du financement de SC pour soutenir l’exécution de cette fonction, ce qui impose un fardeau financier aux régions.

Politiques et instructions de l’ASFC

46. L’ASFC n’a pas de politique ni d’instructions sur l’élimination des précurseurs. Le Manuel d’exécution dit que ses agents ne sont pas autorisés à détruire les drogues réglementées par la LRCDAS, mais doivent plutôt les céder à la GRC.

47. L’ASFC doit respecter le délai de 90 jours imposé par la Loi sur les douanes, mais rien n’indique avec précision quand ou comment elle doit les faire retirer de ses locaux une fois le temps écoulé.

48. Le Manuel d’exécution comme le mémorandum D19-9-2, Importation et exportation de cannabis, de substances désignées et de précurseurs, renvoient toujours au manuel du contrôle (archivé). Le volume sur la gestion du matériel, chapitre 5, section 2 (marchandises saisies, abandonnées et confisquées), confirme que l’ASFC ne peut pas éliminer de précurseurs au titre du Règlement sur les précurseurs.

49. En 2015, SC a consenti une exemption temporaire à l’ASFC sous la forme d’une lettre l’autorisant à se départir des précurseurs accumulés à l’époque. La lettre n’était pas signée par le ministre de la Santé même si la LRCDAS l’exige, il n’est écrit nulle part quand cette exception prend fin et personne de l’ASFC n’a signé pour attester le rôle accru de l’Agence. Enfin, l’exemption ne détaille pas les responsabilités de SC quant aux paiements à faire pour l’élimination, ce qui est une clause du protocole d’entente d’origine. Au moment de la rédaction du présent rapport, l’existence même de cette exemption était très peu connue.

50. Sans instructions claires de l’Agence, la procédure pour éliminer les précurseurs varie d’une région à l’autre, voire d’un PDE à l’autre dans une même région. Alors que la GRC recueille des précurseurs saisis dans certaines régions (principalement les petites quantités, même s’il n’y a pas d’enquête), la plupart des opérations régionales ont eu à procéder elles-mêmes à l’élimination quand des fonds leurs étaient disponibles, et quand les substances présentaient un risque immédiat en matière de santé et sécurité.

51. Les recommandations découlant de ce constat figurent dans la section 9.0 du présent rapport.

Recommandations d’une vérification antérieure concernant l’élimination

52. La Vérification de suivi de l’ASFC de 2014 du contrôle et de l’aliénation des marchandises saisies en vertu de la Loi sur les douanes recommandait que le vice-président des Programmes, en collaboration avec son homologue des Opérations, agisse immédiatement pour éliminer les précurseurs accumulés et concevoir une solution à long terme pour leur élimination régulière. L’exemption susmentionnée a été demandée en tant que solution immédiate, et le protocole d’entente de mars 2014 stipule que « l’ASFC et Santé Canada continueront de trouver des solutions à court [et] à long terme concernant l’élimination des précurseurs. » Il n’existe toujours pas de solution à long terme pour l’élimination, puisque les précurseurs continuent de s’accumuler; [expurgée]. Comme l’indique le tableau 1, le nombre moyen de jours pendant lesquels les substances demeurent en la possession de l’ASFC depuis janvier 2017 s’élève à 343 et 898 [expurgée]. Informée de ces problèmes récurrents, la direction a pris des mesures pour une solution robuste.

Coût de l’élimination

53. Les quantités de précurseurs interceptées par l’ASFC peuvent être imposantes – [expurgée]. L’élimination des précurseurs nécessite une importante coordination au niveau régional entre les différents ministères fédéraux et provinciaux, notamment pour organiser une escorte de la GRC, obtenir des permis fédéraux et provinciaux, et réserver les services d’une entreprise titulaire d’une cote de sécurité dans le domaine de l’élimination des déchets. L’ASFC doit aussi consulter Transports Canada pour définir les critères de sécurité du transport des précurseurs. Il n’y a pas d’installation d’élimination en [expurgée], ce qui complique davantage le processus d’élimination pour la région [expurgée] qui doit donc envoyer ses précurseurs [expurgée], ce qui nécessite un effort de coordination [expurgée].

54. Les saisies volumineuses de précurseurs sont difficiles à prévoir; les régions ne peuvent donc pas budgétiser l’élimination, et il n’existe pas de fonds de prévoyance à l’AC pour les aider à en supporter les coûts prohibitifs. [expurgée].

55. D’après les données fournies par toutes les régions, [expurgée] a éliminé des précurseurs de la filière commerciale au court de la période de vérification. Le coût pour éliminer les précurseurs actuellement accumulés dans la région [expurgée] est estimé entre 200 000 $ et 250 000 $; cependant d’après les lois, les avis juridiques obtenus par l’ASFC, et l’information recueillie durant la vérification, il faudrait confirmer si c’est à l’Agence d’assumer ces coûts.

56. Les recommandations découlant de ce constat figurent dans la section 9.0 du présent rapport.

57. En conclusion, le modèle de gestion fonctionnelle nouvellement adopté par l’Agence pourrait ouvrir la porte à une approche nationale exhaustive pour la gestion des précurseurs chimiques.

9.0 Recommandations

Recommandations 1 :

Le VP de la Direction générale du secteur commercial et des échanges commerciaux, en collaboration avec le VP de la Direction générale de la Politique stratégique ainsi que le VP des Finances et de la Gestion organisationnelle, devrait clarifier et officialiser au moyen d’accords interministériels les comptes à rendre, les responsabilités financières, la terminologie et les normes de service de la GRC, de Santé Canada et de l’ASFC, afin de dissiper l’ambiguïté qui entoure l’élimination des précurseurs chimiques inadmissibles.

Réponse de la direction Date d’achèvement
La Direction générale du secteur commercial et des échanges commerciaux souscrit à la recommandation selon laquelle les rôles et les responsabilités de la GRC, de Santé Canada et de l’ASFC doivent être clairement définis. Le vice-président de la Direction générale des voyageurs, le vice-président de la Direction générale de la politique stratégique (DGPS) et le vice-président de la Direction générale des finances et de la gestion organisationnelle (DGFGO) assureront un soutien, au besoin. Septembre 2020

Recommandation 2 :

Le VP de la Direction générale du secteur commercial et des échanges commerciaux, en collaboration avec les représentants désignés des régions, devrait définir, communiquer et tenir à jour les politiques, les procédures, les outils et les listes de contacts requis pour l’enregistrement, la manipulation et l’élimination des précurseurs chimiques, en s’assurant que les rôles et responsabilités connexes soient définis et communiqués.

Réponse de la direction Date d’achèvement
La DGSCEC souscrit à la recommandation qui indique que, selon les constatations, l’Agence ne respecte pas les exigences et que des modifications doivent être apportées aux politiques de l’ASFC concernant les précurseurs chimiques. Août 2021

Recommandation 3 :

Le VP de la Direction générale du secteur commercial et des échanges commerciaux, en collaboration avec les représentants désignés des régions, devrait surveiller les stocks de précurseurs chimiques, le temps que ceux-ci passent en entreposage, ainsi que la conformité aux dispositions légales et réglementaires pertinentes, et aussi intégrer des rapports réguliers à la mesure du rendement du programme du secteur commercial.

Réponse de la direction Date d’achèvement
La DGSCEC souscrit à la recommandation selon laquelle les précurseurs chimiques conservés par l’Agence (y compris les précurseurs retenus et saisis) doivent être consignés, entreposés et éliminés conformément à la Loi sur les douanes, à la Loi réglementant certaines drogues et autres substances, aux normes de l’ASFC en matière de sécurité matérielle et aux exigences en matière d’élimination. Un mécanisme d’inventaire et de suivi sera mis en place et surveillé, et le point sera fait régulièrement auprès de la haute direction. Août 2020

Recommandation 4 :

Le VP de la Direction générale des finances et de la gestion organisationnelle, en collaboration avec les représentants régionaux désignés, devrait examiner et communiquer les politiques et les procédures liées à l’entreposage des précurseurs chimiques et évaluer périodiquement le caractère adéquat des installations de l’ASFC pour l’entreposage sûr des précurseurs chimiques, et en rendre compte.

Réponse de la direction Date d’achèvement
La DGFGO approuve les constatations et les recommandations du rapport. Le vice-président de la DGFGO, en consultation avec les intervenants internes et externes et les bureaux de première responsabilité pertinents, examinera la possibilité de confier à SPAC le transport et l’entreposage de tous les précurseurs chimiques (y compris des substances inconnues en attendant qu’elles soient identifiées) à compter de leur saisie. La DGFGO, en consultation avec SPAC, communiquera aux employés et à la direction des lignes directrices claires ainsi que les politiques applicables du gouvernement du Canada relativement à l’entreposage de précurseurs chimiques, afin d’en assurer une application uniforme à l’échelle de l’Agence. En outre, la DGFGO établira l’ordre de priorité de ses installations et de celles fournies par les propriétaires ou exploitants (p. ex. une administration portuaire) et elle examinera celles-ci pour déterminer si elles sont adéquates pour entreposer temporairement des précurseurs chimiques. Elle apportera ou demandera ensuite les modifications requises. La DGFGO évaluera également les répercussions juridiques de l’entreposage des précurseurs chimiques saisis hors site par un tiers pour ce qui est des installations visées par l’article 6 de la Loi. Octobre 2020

Annexe A : La vérification

Objectif et portée

La présente vérification avait pour objectif de déterminer si les produits chimiques précurseurs en la possession de l’Agence (y compris ceux retenus et saisis) étaient enregistrés, surveillés (entreposés) et éliminés conformément à la Loi sur les douanes, aux normes de sécurité physique, et aux exigences d’élimination.

La présente vérification se concentrait sur l’enregistrement, l’entreposage, la surveillance et l’élimination des précurseurs retenus ou saisis entre le et le . Elle s’est intéressée surtout à la filière commerciale, et en particulier au mode maritime, vu la fréquence et le volume des saisies de précurseurs effectuées dans ce mode.

Étaient exclues les activités liées aux précurseurs dans les modes routier et ferroviaire, ainsi qu’au processus d’identification des substances impliquant le Laboratoire de l’ASFC.

Remarque : À la lumière du travail de vérification effectué à la phase de planification, il a été décidé que l’information disponible était suffisante pour rapporter les constats directement. Voilà pourquoi il n’y a pas eu de « secteurs d’intérêt » ni de critères pour la vérification proprement dite.

Évaluation des risques

Une évaluation préliminaire a été effectuée à la phase de planification, pour trouver d’éventuels secteurs à risque au moyen d’entrevues, d’une étude documentaire, et d’une visite sur place dans la région [expurgée]. Les risques recensés sont les suivants :

Entreposage inadéquat

Procédés opérationnels

Approche et méthodologie

La présente vérification est conforme aux Procédures obligatoires régissant l’audit interne au sein du gouvernement du Canada, comme en témoignent les résultats du programme d’amélioration et d’assurance de la qualité. Son approche et sa méthodologie suivent les Normes internationales pour la pratique professionnelle de l’audit interne telles que définies par l’Institut des vérificateurs internes, ainsi que les Procédures obligatoires régissant l’audit interne au sein du gouvernement du Canada, comme l’exige la Directive sur l’audit interne du Conseil du Trésor.

Pour conclure sur l’objectif, les méthodes retenues pour la collecte de données sont les suivantes :

Annexe B : Liste des acronymes

ASF
Agent/Agente des services frontaliers
ASFC
Agence des services frontaliers du Canada
DGFGO
Direction générale des finances et de la gestion organisationnelle
GRC
Gendarmerie royale du Canada
LRCDAS
Loi réglementant certaines drogues et autres substances
PDE
Point d’entrée
PNE
Procédures normales d’exploitation
RGT
Région du Grand Toronto
SAP
Sanction administrative pécuniaire
SC
Santé Canada
SIED
Système intégré d’exécution des douanes
SPAC
Services publics et approvisionnement Canada

Annexe C : Précurseurs chimiques (Annexe VI de la LRCDAS)

Loi réglementant certaines drogues et autres substances (L.C. 1996, ch. 19) – Annexe VI (articles 2, 6, 55 et 60)

Partie 1 – Précurseurs : catégorie ANote de bas de pages 3

Partie 2 – Précurseurs : catégorie BNote de bas de pages 4

Partie 3 – Préparations et mélanges

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